Dans le podcast Industry4Good animé par Aurélien Gohier, la question de la réindustrialisation des territoires et de la relocalisation des achats a été au cœur des échanges. Trois intervenants ont apporté leur éclairage sur ce sujet stratégique : Loïc Hénaff, Conseiller régional en charge de la relocalisation d’activités, du fret et de la logistique à la Région Bretagne, Anaïs Voy-Gillis, chercheuse et directrice RSE chez Humens, et Sébastien Taupiac de ST Agency. Ensemble, ils ont partagé des analyses de fond et des solutions concrètes pour renforcer la résilience industrielle et économique de nos territoires, en particulier à travers la relocalisation des achats.

Une stratégie régionale exemplaire portée par Loïc Hénaff
La Bretagne se distingue par une politique volontariste en faveur de la relocalisation des achats, incarnée au travers du projet Relocalisons.bzh à destination des entreprises. Côté commande publique, Loïc Hénaff, a présenté dans ce podcast l’ambition claire de la Région : 80 % des achats de la collectivité réalisés localement dans les cinq départements historiques bretons. Cette stratégie repose sur un instrument clé, le SPASER (Schéma de Promotion des Achats Socialement et Écologiquement Responsables), destiné à harmoniser les pratiques d’achat et à renforcer le tissu économique régional.
Loïc Hénaff souligne “que la commande publique constitue un levier essentiel d’investissement et de résilience territoriale. À travers des initiatives telles que « Breizh Achat », qui centralise les achats des 115 lycées bretons, la Région montre qu’il est possible de mutualiser les commandes pour générer des économies d’échelle tout en soutenant l’économie locale.”
Côté entreprises, cette démarche en faveur des achats locaux, pouvant déboucher sur de la relocalisation d’activités et/ou la création d’activités nouvelles, aboutit déjà à des résultats concrets, comme l’exemple de Foil and Co, entreprise récompensée pour ses efforts d’achat local aux Victoires de la Bretagne, ou encore de La Belle-Îloise, qui s’approvisionne en algues auprès d’entreprises bretonnes.
Les défis soulevés par Anaïs Voy-Gillis : un changement culturel et économique
Pour Anaïs Voy-Gillis, chercheuse et directrice RSE chez Humens : “La relocalisation et la réindustrialisation posent des questions profondes en termes de modèles économique et social : avons-nous un destin commun et sommes-nous prêts à repenser nos modèles économiques ? Après des décennies de mondialisation et de recherche du « prix le plus bas », elle insiste sur la nécessité d’une restructuration des chaînes de valeur.”
Cette spécialiste de la RSE valide et encourage la démarche pour évaluer les achats via un outil tel que l’indice breton de l’achat local. Ce dispositif permet aux entreprises de cartographier leurs fournisseurs et peut déboucher sur le calcul du coût global (TCO) afin d’éclairer la décision d’achat en prenant en compte l’ensemble des coûts (coût logistique, douanier, environnemental et de qualité). Cet exercice révèle souvent que le coût net peut doubler par rapport au prix affiché, renforçant l’intérêt d’un approvisionnement local.
Sébastien Taupiac: la commande publique, un enjeu européen et culturel
Sébastien Taupiac, fondateur de ST Agency, insiste sur l’importance de la dimension culturelle dans la relocalisation. “La Bretagne, avec son « patriotisme économique régional », constitue un modèle unique. Mais il rappelle que la réussite nécessite des actions politiques concrètes et une stabilité fiscale pour créer la confiance des acteurs économiques.”
Au niveau européen, le fondateur de ST Agency appelle à une réforme pour rendre la commande publique plus stratégique. Il plaide pour intégrer les externalités environnementales et sociétales dans les critères d’attribution, comme le font déjà certains pays avec des systèmes bonus-malus. Selon lui, “il est impératif de remplacer le critère du prix le plus bas par celui du coût global, une transition qui permettrait de renforcer la souveraineté industrielle tout en respectant les engagements environnementaux.”
Relocalisation : une dynamique réplicable et ambitieuse
L’exemple breton montre qu’il est possible de concilier compétitivité économique, résilience industrielle et transition écologique. En s’appuyant sur des outils innovants, une gouvernance stable et une culture de la collaboration, la Région Bretagne dessine une voie prometteuse pour réindustrialiser durablement le territoire. Cette démarche, loin d’être protectionniste, se veut réplicable. Comme le conclut Loïc Hénaff : « Il ne s’agit pas seulement d’acheter local, mais de créer un mouvement systémique pour réinterroger nos pratiques et aligner nos stratégies d’entreprises. »
Vers un avenir commun
Si la relocalisation des achats repose sur une volonté politique et des outils concrets, “elle engage aussi les consommateurs”, comme le rappelle Anaïs Voy-Gillis. Choisir des produits locaux, c’est investir dans un modèle durable et pérenniser l’économie régionale.
La relocalisation des achats est donc bien plus qu’un enjeu économique : c’est une question de souveraineté collective, d’ambition environnementale et de cohésion territoriale.