Créée en 2022, la start-up rennaise Bluemarket a pour objectif de simplifier le réemploi d’équipements et de stocks de pièces, de machines et de pièces destinées aux industries avec son système de petites annonces.
L’aberration de voir du matériel gaspillé
“Nous avons tous un vélo en trop chez nous alors que d’autres personnes recherchent localement ces mêmes vélos. Aujourd’hui, nous avons l’habitude de réemployer en tant que particulier, pourquoi pas dans l’industrie ?” Si l’on devait résumer grossièrement le principe de Bluemarket, cette phrase siérait à ravir. À l’origine de cette jeune startup rennaise, il y a deux étudiants de l’INSA de Rennes : Arnaud Moulin, l’auteur de la phrase, et Guillaume Vailland. Quand le second se lance dans un doctorat en informatique, le premier se dirige vers le secteur industriel pour sa première expérience professionnelle.
De ses expériences dans diverses entreprises, il en dresse un constat saisissant. “Les industriels jettent des objets neufs ou en tout cas utilisables, pointe-t-il. Cela leur coûte très cher. Ce sont du matériel qu’ils ont acheté et qu’ils jettent. Ils paient pour le traitement de ces déchets. Enfin, c’est un énorme gâchis car ces objets neufs sont broyés, recyclés et on fabrique exactement les mêmes objets. Ce n’est pas très efficace… On a vu parfois des industriels jeter pour 50 000 euros de matériel sous emballage dans une benne qui sera ensuite broyé. C’est aberrant ! Et c’est avant tout parce qu’ils n’ont pas le temps de donner de la visibilité à ces articles, c’est là que nous intervenons.”
Alors en colocation, Guillaume Vailland ayant rendu sa thèse, Arnaud Moulin ayant quitté son emploi, tous deux profitent de la période Covid pour réfléchir à un moyen de valoriser ce matériel dormant ou en passe d’être jeté. “Il existe des brokers qui rachètent les stocks à un prix minime et ensuite essayent de les revendre afin d’en tirer un bénéfice, mais cela ne répond qu’à une petite partie du problème, pas à toute la problématique. Alors nous nous sommes dit que nous allions faire Le Bon Coin de l’industrie.”
L’idée germe en 2021. Très vite, le duo bénéficie de l’accompagnement de plusieurs entités, dont Le Poool, pour se mettre sur les rails. La société est officiellement fondée en février 2022. Arnaud Moulin et Guillaume Vailland profitent de cette année pour lancer une expérimentation auprès d’industriels afin de comprendre leurs besoins et peaufiner le fonctionnement de leur futur outil. “C’est vraiment Le Bon Coin. C’est gratuit, tout le monde peut y déposer des annonces et acheter. Nous proposons un service d’automatisation pour les entreprises qui en publient beaucoup afin de leur faire gagner du temps. L’idée est de simplifier le réemploi industriel. Pour cela, il ne faut pas que cela prenne trop de temps et que la méthode soit claire. Cela ne doit pas être une contrainte”.
Un service gratuit, un autre payant pour aller plus loin dans la démarche de réemploi
Jusqu’à 2023, la petite équipe de 6 personnes se rémunérait à travers les commissions émanant des transactions effectuées sur Bluemarket. Depuis, la version gratuite de la plateforme a vu son pendant payant apparaître : Bluemarket Connect. “L’idée, c’est de se dire que des groupes qui ont plusieurs sites et des groupements de partenaires ont des problématiques de réemploi qu’ils peuvent traiter entre eux selon leur métier qui peuvent être traitées en interne. Alors avant de chercher ailleurs, ils peuvent gérer cela entre leurs différents sites. Avec Bluemarket Connect, nous leur fournissons un accompagnement global sur leurs démarches de réemploi. Quels acteurs identifier ? Quels sont les enjeux ? Quelles sont les règles d’un point de vue légal ? Quels stocks identifier ? Nous fournissons l’outil au groupement et le personnalisons et l’adaptons à chaque besoin. Notre objectif, c’est qu’en un mois, la démarche soit lancée.”
Les outils développés par la jeune entreprise intègrent toutes les problématiques liées à la négociation, la logistique, la réception sur site, les dépôts de facture… “Nous voulons aussi mettre en place des indicateurs d’impacts financiers et environnementaux directement en ligne afin de chiffrer le gain d’argent et les les quantités de déchets et de CO2 évités. Cela permettra aux équipes RSE ou achat des entreprises de faire un bilan au fil du temps.” Bluemarket s’adresse d’abord aux acteurs de l’agroalimentaire, de la mécanique ou de la métallurgie, “mais la solution peut s’adapter à toutes les typologies d’acteurs, hormis les secteurs aux contraintes très fortes comme l’industrie pharmaceutique”.
Les deux premiers piliers du service (accompagnement au lancement et personnalisation de l’outil avec support technique) sont complétés par des bilans sur l’impact de cette démarche du point de vue de l’environnement et des finances. Bluemarket propose notamment de mettre en valeur les actions menées pour les équipes RSE et de direction, en synthétisant les poids et volumes de déchets évités, ainsi que le CO2 équivalent évité pour l’acquéreur et le cédant.
Favoriser l’achat le plus local possible…
Les deux plateformes, comme toute marketplace, propose une multitude de filtres. Prix, état de l’article noté de A à E, taille et surtout un champ “distance”. Car l’un des desseins clairement affiché chez Bluemarket, c’est de favoriser le plus possible l’achat à l’échelle locale. “J’ai un exemple qui me marque, se souvient Arnaud Moulin. Sortie de la crise Covid, nous connaissions une pénurie de cartes électroniques. Un industriel situé à côté de Rennes en possédait, mais n’en avait plus l’utilité. Il allait potentiellement les jeter mais nous avons trouvé une autre entreprise située à 20km de Rennes qui en cherchait. Nous avons géré la transaction d’une pièce qui n’était plus sur le marché entre deux entreprises situées à seulement 30km d’écart.”
Ainsi, de par sa démarche, Bluemarket s’intègre parfaitement au projet porté par la Région Bretagne de relocalisation par les achats. Cette ambition régionale qui entend sensibiliser et pousser les services achats des entreprises à favoriser l’achat au plus près des locaux. “Répondre à la problématique achat respecte toujours le même schéma. D’abord le prix, la quantité, le délai et la qualité. Pour le prix, nous sommes toujours en dessous du marché. Pour le délai, tout ce que nous avons en ligne est directement disponible chez les industriels utilisateurs, et non pas dans un entrepôt en Chine. Pour la qualité, les industriels qui vendent font attention à leur matériel. Tout simplement car en cas de dommage, ils perdent de l’argent. D’autant plus que nous vendons environ 80% de neuf. Nous les aidons à décrire correctement l’état des articles. C’est incroyable de se dire que nous avons aujourd’hui la capacité de résoudre des problèmes d’approvisionnement localement sur des objets neufs, même moins chers que du neuf, disponibles immédiatement localement.”
« Ça devrait être normal »
De par cette dynamique de réemploi, Bluemarket s’inscrit pleinement dans l’approche de l’économie circulaire et ses sept piliers dont le recyclage ou l’allongement de la durée d’usage font partie. “D’un point de vue environnemental, c’est bénéfique car l’acheteur récupère une pièce proche de chez lui et évite ainsi toute la chaîne de production, de l’extraction à la réception, en passant par le transport. Par rapport à un fonctionnement qu’on estime de bon sens, ça devrait être normal. On ne devrait pas produire des articles alors qu’ils existent juste à côté de chez nous…”
Bluemarket avait d’ailleurs exposé sa solution lors de la Digital Tech Conference 2022 (ex-Imagine Summit) sur un espace coordonné par Bretagne Développement Innovation et Le Poool.
Des prix glanés et un développement à poursuivre
A cette occasion, la start-up hébergée au sein du Village By CA Ille-et-Vilaine, avait séduit le jury du Trophée des idées neuves. Des prix, elle en a gagné d’autres comme le prix Crisalide éco-activité – écologie industrielle et RSE lors de l’Open de la transition écologique et énergétique et le Trophée de l’innovation du réseau Initiative. Un gage de qualité pour la plateforme qui compte quelque 350 utilisateurs mensuels. Un chiffre qui devrait croître à mesure que la solution se déploie dans toute la France. “Nous souhaitons faire du réemploi industriel une habitude et fédérer les industriels autour de leurs écosystèmes locaux et de métier. Enfin, nous travaillons pour compléter nos services toujours dans l’optique de simplifier le réemploi (logistique, assurance…) et également intégrer les spécialistes du réemploi pour chaque type d’article. Notre objectif est d’être une sorte de référence en matière de réemploi afin que cela devienne un réflexe.”
Alstef est passé par Bluemarket pour vendre des pièces
La société Alstef est spécialisée dans la fabrication de chariots automatisés (AGV) à destination des secteurs industriels, agroalimentaires et pharmaceutiques. Elle met également à disposition de ses clients une prestation de service afin d’optimiser les flux logistiques et ainsi gagner du temps dans leur production. Alstef s’est tournée vers Bluemarket afin de vendre facilement des pièces qu’elle n’utilisait plus sur ses machines. “Nous avons d’abord vendu des vis et des rondelles via Bluemarket”, précise Laurence Collineau, approvisionneur chez Alstef. Basée à Mordelles (Ille-et-Vilaine), l’entreprise a trouvé un repreneur spécialisé dans l’équipement de manèges pour ces pièces et situé à Bréal-sous-Montfort, soit à quelques kilomètres seulement. Bluemarket a accompagné l’entreprise dans la publication des annonces et dans la détection de potentiels repreneurs. “Bluemarket nous a été d’une précieuse aide, notamment en termes de gain de temps. Nous ne savions pas forcément comment recycler ou vendre ce matériel. La plateforme est un parfait intermédiaire pour les vendeurs et les acheteurs en quête de pièces.” À l’avenir, Alstef compte poursuivre sa collaboration avec Bluemarket, notamment pour vendre des composants électriques et électroniques, moteurs, câbles…