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La bière bretonne, moteur et pionnière de la relocalisation

Le 02/12/24

La culture de la bière en Bretagne est intrinsèquement liée à la relocalisation. Focus sur l’histoire de la plus ancienne microbrasserie de France, Coreff, qui a été l’un des pères fondateurs de l’association “De la Terre à la Bière et de la Malterie de Bretagne”, filière 100% bretonne, du grain d’orge, au verre.

 

Biere Relocalisation Bretagne Coreff

La bière en Bretagne, c’est une histoire qui dure. Depuis des siècles en l’occurrence si l’on remonte aux racines celtes de la région. Il faut attendre le XVIIe siècle pour voir apparaître les fondations de l’industrie brassicole à la bretonne avec la création, en 1624, de la première brasserie à Quimper, comme le retrace l’ouvrage La Bière bretonne, de Gabriel Thierry et Benjamin Keltz. À Rennes, l’un des lieux iconiques et témoin de l’évolution de la ville n’est autre que l’ancienne brasserie Saint-Hélier, du nom du quartier où s’est érigé, en 1873, l’un des vestiges du passé industriel rennais.

Aujourd’hui, cette culture brassicole perdure avec la multiplication des microbrasseries aux quatre coins du territoire breton, dans le sillage de leur doyenne Coreff. Au début des années 1980, Jean-François Malgorn et Christian Blanchard découvrent la Real Ale dans la brasserie Ringwood. « Ils se sont aperçus que l’on pouvait boire de la bière sans avoir trop mal aux cheveux le lendemain, sourit Matthieu Breton, directeur général associé de la « plus grande des microbrasseries ». Quand ils l’ont découvert, ils se sont dit qu’ils allaient le partager aux copains et ainsi est née la Brasserie des Deux rivières à Morlaix, brassant une bière 100% naturelle, sans colorant, sans sucre ajouté et composée intégralement de céréales, de houblon, de levure, d’eau et de savoir-faire. »

« Tu veux une bière bretonne ou internationale ? »

Et dès le départ, les bistrotiers jouent cartes sur table pour la promouvoir de la meilleure manière avec la maxime « Tu veux une bière internationale ou du coin ? » qui semble faire mouche. « L’idée était d’inciter les gens à consommer des produits du pays. Coreff était surtout soutenue par des gens qui se sentaient concernés par la localisation, par l’envie de consommer local. C’est grâce à ce soutien que Coreff a perduré car au début, la bière était un peu instable. Être brasseur était un nouveau métier pour Jean-François et Christian et être une microbrasserie était un peu précaire car le matériel était plus destiné aux grosses brasseries. C’est grâce à cette envie de faire de la localisation que le projet va tenir et que derrière, d’autres microbrasseries vont voir le jour. » Lancelot en 1990, Britt (devenue Brasserie de Bretagne) en 1998 ont suivi les traces de Coreff.

Lorsque Coreff est lancée, les brasseurs doivent se tourner vers la Belgique pour s’approvisionner en malt (orge façonnée après maltage). « Nous étions trop petits pour les grandes malteries françaises qui fournissaient en majorité les grandes brasseries. La Belgique était en avance sur le mouvement des microbrasseries et comptait déjà des malteries bien dimensionnées. Une malterie proposait déjà des conditionnements adaptés à nos besoins. Nous avons travaillé comme ça jusqu’à 2010 environ, quand le marché des microbrasseries va exploser. Les malteries françaises ont mis en place des offres plus adaptées. Et nous avons travaillé avec les Malteries Soufflet, situées dans le Centre de la France. »

Devenir totalement indépendant de A à Z

Jusqu’en 2019. Année de lancement de la Malterie de Bretagne. Installée à Scaër, elle est la suite logique de l’association De la Terre à la bière, elle-même officiellement créée en 2006. À cette époque, plusieurs brasseurs bretons, dont Coreff, désirent brasser à partir d’une orge bio et bretonne. « À l’époque, nous devions être 4 ou 5 à nous dire que c’était dommage d’avoir, en Bretagne, des champs de blé à perte de vue et de ne pas en faire bénéficier le tissu économique local. Nous avions réussi à trouver 5 ou 6 cultivateurs pour produire quelques dizaines de tonnes, ce qui était suffisant pour deux mois de production. Aujourd’hui, plus de cent agriculteurs ont rejoint le réseau pour une quarantaine de brasseries et environ 2000 tonnes d’orge produites à l’année. L’association comporte trois collèges : brasseurs, producteurs et collecteurs. »

Afin d’éviter les allers-retours entre la Bretagne et le Centre de la France pour la transformer en malt, la décision est prise de lancer la Malterie de Bretagne et d’être ainsi totalement indépendant grâce au collectif. « Au départ, nous avions lancé des appels d’offres et nous avons fini par nous dire que le plus simple serait de le faire nous-mêmes. Nous avons donc créé la Malterie de Bretagne, en SCIC (Société coopérative des intérêts collectifs). Quand elle génère du bénéfice, cela permet d’investir sur des moyens humains ou mécaniques, de revaloriser le prix d’achat des céréales et enfin de baisser le prix du malt afin de le rendre plus attractif pour les brasseurs. »

L’orge est ainsi cultivée « partout en Bretagne, dans les 5 départements. Afin de donner du boulot un peu partout. » Ce découpage permet aussi de se prémunir face aux éventuelles intempéries, parfois nombreuses en Bretagne… « S’il pleut énormément dans le nord de la région, il ne pleut pas forcément dans le Sud. Il y a beaucoup d’acheteurs et beaucoup de producteurs. Si une récolte fait défaut, cela nous permet de passer la marée. »

À travers l’association et la malterie, les brasseries membres sont désormais devenues totalement indépendantes grâce à un cercle vertueux à tous les niveaux, notamment d’un point de vue environnemental. « Nous ne voyons pas comment en produisant l’orge et en la transformant localement, nous ne pouvons pas être vertueux. Nous limitons le transport. Envoyer des céréales dans le centre de la France pour les faire revenir sous forme de malt a été une des raisons qui nous ont poussés à créer la Malterie de Bretagne. C’était une hérésie. Même s’il n’y a jamais de modèle parfait, le nôtre est vertueux. »

Crédit photos : ©Elodie Le Gall

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