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Quand l’emploi pénitentiaire bénéficie aux entreprises locales

Le 03/10/24

À la prison de Rennes, à Vezin-le-Coquet, des entreprises locales font appel à des détenus pour réaliser des opérations diverses. Ces salariés bénéficient ainsi d’une expérience professionnelle durant leur détention qui évite de sous-traiter dans des zones lointaines.

Relocalisation Atelier Reinsertion

Passé le pont de la rocade rennaise, la Route de Lorient rassemble de nombreuses entreprises sur 1,5 million de m². Société de transport, services de réparation et de nettoyage automobile, usine textile, magasins de motos, entre autres, s’y côtoient, faisant de cette zone industrielle la plus importante de la capitale bretonne. Si étendue qu’elle empiète sur des parcelles de la commune voisine : Vezin-le-Coquet. Parmi ces usines, un atelier dénote par son emplacement, ses employés et sa fonction.

Pour y pénétrer, il faut montrer patte blanche et franchir les différents sas et cours morcelant le centre pénitentiaire de Vezin, ceinturé par de grands murs de 9 m de hauteur grisonnants et aux quelques pointes de vert et de bleu. La porte d’entrée franchie, peu d’éléments la distinguent d’une usine « traditionnelle ». Des établis, des stocks de marchandises, quelques outils bien gardés, et bien sûr, des ouvriers équipés de bleu de travail, gants et surchaussures renforcées.

Tous sont salariés de GEPSA, société spécialisée dans les services en site sensible. Depuis l’ouverture du centre pénitentiaire en 2010, elle est chargée des opérations de facility management (accueil des familles, gestion de la cantine, maintenance et entretien des locaux…). Quarante centres pénitentiaires font appel aux services de cette filiale d’ENGIE aux trente années d’existence.

 

Des conditions d’embauche classiques

Tous ces détenus sont sous contrat à durée indéterminée à temps plein ou à temps partiel. De 8h à 13h30, du lundi au vendredi, ils prennent place dans les différentes « alvéoles » de cet immense atelier de 1 200 m² avec une pause de 20 minutes.

Chacun de ces espaces correspond à un contrat signé avec GEPSA par une entreprise locale souhaitant sous-traiter certaines de ses tâches. A un coût attractif, la rémunération des ouvriers s’établissant à 45% du SMIC horaire. Chaque jour, ils sont surveillés par trois surveillants pénitentiaires  et supervisés par des contremaîtres issus du monde industriel. Ces derniers ont mis en place un processus industriel au sein de l’atelier. Basé sur le mode SQCDP (Sécurité, qualité, coût, délai, personnes), il doit permettre à chacun de tenir ses objectifs et garantit la réactivité de l’atelier.

Ce matin-là ils sont une cinquantaine  à être répartis dans ces compartiments qui peut en accueillir une centaine lorsque l’activité tourne à plein régime. Quatre entreprises locales ont fait appel aux services de GEPSA. De la musique égaye l’ambiance de travail. « La conjoncture économique n’aide pas, pour les kits de camping, c’est la météo qui complique les choses, pointe Pascal Foucault, responsable de site. J’ai une liste de candidatures longue comme le bras, mais je ne peux pas tous les recruter. »

Certains sont chargés de monter les calottes de casque de protection pour le compte de Taliaplast (Montoir-de-Bretagne). Plus loin, il s’agit de réaliser les panachages des ballots de compotes produites par les Vergers de Chateaubourg. Elles arrivent dans l’alvéole de stockage. Un ouvrier formé au transpalette électrique les apporte. Les autres s’occupent de rassembler compotes pomme-fraises, pomme bananes, pommes poires et pommes dans ces paquets avant qu’elles ne soient vendues dans les grandes et moyennes surfaces. À côté, ils sont 5-6 à réaliser des petits kits d’accueil « entretien » pour GPLus Distribution basée à Lorient et distribués dans des campings. Enfin, Cordon Electronics (Dinan) fait aussi appel aux services de GEPSA. À Vezin-le-Coquet, elle y fait réaliser des opérations de tri, de nettoyage et de vérification de l’état de marche et des normes des boîtiers électriques fournis dans les kits de box Internet. Rendus par des clients ayant résilié, ils seront ensuite remis sur le marché.

 

Atelier Reinsertion
L’atelier est installé au cœur du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin-le-Coquet.

 

Un projet de jeu éducatif qui valorise le savoir-faire des opérateurs

En octobre 2024, une nouvelle commande doit être faite. Il s’agira de monter, de A à Z, Etoilium, un jeu éducatif destiné aux enfants de 5 à 11 ans. « Le jeu est totalement breton. La start-up derrière ce jeu nous a fait confiance pour une première production au printemps 2024, se félicite Pascal Foucault. Le jeu est basé sur le programme scolaire et ne nécessite pas de piles. Je suis content que nous ayons pu obtenir ce marché car cela valorise le savoir-faire des opérateurs, qui sont capables de réaliser une étoile par minute. C’est une belle récompense pour eux de participer à un tel projet. »

Dans la maison d’arrêt, cet atelier fonctionne comme une véritable entreprise. La réforme du travail pénitentiaire est entrée en application en 2022 et a apporté avec elle son lot de changements. Une référente emploi est chargée d’étudier les candidatures et d’effectuer les entretiens préalables à l’embauche. « Une commission vérifie si le détenu est apte à travailler. Il est ensuite reçu en entretien. Enfin, il faut que l’on ait la capacité de lui offrir un emploi. Le fait d’embaucher en CDI nous offre une plus grande adaptabilité. Chaque opérateur est évalué sur son présentéisme, la qualité du travail effectué, son comportement et le respect des cadences. Cela forme sur un cadre structurant qui rapproche du monde du travail où l’exigence est forte. Des désaffectations peuvent arriver. Elles sont la conséquence d’un avertissement oral puis d’un avertissement écrit qui n’ont pas été pris en compte. Nous savons gérer nos affaires comme des industriels classiques, avec le même degré d’exigence et de réactivité. » Certifiée normes ISO9001, GEPSA séduit ses clients grâce à des coûts contenus, sa réactivité et sa qualité les incitant à sous-traiter localement et non à des centaines de kilomètres.

 

« Que les détenus puissent s’investir et être acteurs de leur détention »

Certains détenus présentant un bon dossier et un projet professionnel peuvent faire la demande pour bénéficier d’une formation. Ils peuvent notamment passer leur CACES (Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité) afin de devenir cariste, par exemple. D’autres peuvent prétendre à un poste de superviseur.

Après 13h30, l’atelier continue de vivre. Pascal Foucault et les contremaitres s’occupent de la partie administrative et de l’approvisionnement des lignes, quand les détenus regagnent leurs cellules. « Nous ne sommes pas là pour les juger, note Nathanaël Samson, déléguée pour GEPSA Institut.  Pour les détenus, il est essentiel de garder un rythme en entreprise ou de l’acquérir afin qu’ils préparent leur réinsertion. Cela améliore leur ordinaire, leur permet de payer les parties civiles et surtout d’investir et d’être acteur de leur détention. » Pour certains d’entre eux, c’est la première fois qu’ils sont confrontés au monde du travail. Une façon pour eux de se réaliser et de préparer leur sortie et leur réinsertion.

 

Guillaume ANDRE / BDI

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